Remaniement: peut-on attendre un renouveau dans la politique étrangère française?

Publié: février 27, 2011 par argulamaton dans Les articles de la rédaction
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Il peut sembler curieux que notre blog consacré à wikileaks et aux anonymous s’intéresse à une pure manoeuvre politicienne du gouvernement français. Pourtant au regard des câbles publiés par wikileaks, le remaniement est assez intéressant. Les scandales sur les liens d’affaires entre Michèle Alliot-Marie, ancienne ministre des affaires étrangères, et Aziz Miled, un homme d’affaires tunisien membre du comité directeur du parti de Ben Ali, le RCD, ainsi que sur les vacances de Fillon en Egypte payées par le président aujourd’hui déchu, Moubarak, ont montré la confusion qui régnait dans la politique étrangère française éclatée entre la cellule diplomatique de l’Elysée, le ministère des affaires étrangères et quelques hommes de l’ombre.

Un des tenants de cette diplomatie parallèle, Robert Bourgi, proche de Claude Guéant ancienne éminence grise de l’Elysée devenu ministre de l’intérieur, était cité dans un câble wikileaks sur le coup d’Etat à Madasgar que l’opération leakspin avait traduit. Deux membres de la cellule diplomatique de l’Elysée, qui représentaient une volonté de rupture par rapport à la Françafrique conformément au discours de campagne de Sarkozy, dénigraient Robert Bourgi qu’ils accusaient d’être un opportuniste et qu’il ne représentait pas le gouvernement français. Ce qui est vrai vu que Bourgi n’a aucun poste officiel mais quand on sait que Robert Bourgi avait obtenu la tête du secrétaire d’Etat à la Francophonie, Jean-Marie Bockel, qui déplaisait à Bongo, et qu’il était en relation avec le putchiste Rajoelina à Madagascar.

D’autres câbles wikileaks montraient aussi que le ministère des affaires étrangères était à la traine, soit court-circuitée par la diplomatie parallèle de Bourgi ou tout simplement par le président Sarkozy omniprésent dans tous les domaines. Les diplomates américains exprimaient eux même leur incompréhension face à une telle lutte d’influence qui minait la diplomatie française et ne pouvait que constater l’influence croissante des réseaux parallèles comme celui de Bourgi qui profitaient de la confusion et du désordre pour étoffer leurs carnets d’adresse et s’enrichir.

En juillet 2009, libération dressait un tableau de l’ascension récente de Bourgi:

Il ne faut pas se tromper. Rond et madré, parsemant ses propos d’anecdotes souvent drôles et de piques bien senties, Bourgi n’est pas un pied-tendre. Avec Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée, qu’il gratifie de «pivot de la politique étrangère» française, il forme un tandem de choc. En mars 2008, à la demande du président du Gabon, il a obtenu la tête du secrétaire d’Etat à la Coopération, Jean-Marie Bockel, qui réclamait la mort de la Françafrique, et joue depuis les sorciers auprès de son successeur, Alain Joyandet, un novice sur le continent noir. Bernard Kouchner, lui, est mis devant le fait accompli quand Guéant et Bourgi s’entretiennent, à Paris, avec des dirigeants africains qui sentent le souffre ou le putsch. Ce fut le cas, récemment, avec le nouvel homme fort de Madagascar, Andry Rajoelina, installé par l’armée après le renversement du président Marc Ravalomanana. Ou encore avec le général Aziz, qui a pris le pouvoir en Mauritanie il y a un an et cherche le soutien de Paris. Le duo est aussi à la manœuvre dans le dossier libano-syrien, Bourgi disposant, là encore, d’entrées précieuses.

Son Eminence affirme en revanche travailler en bonne intelligence avec la cellule chargée des questions africaines à l’Elysée, dirigée par un homme qui milite pour la rupture avec le passé, Bruno Joubert. La réalité est plus complexe. Les deux parties se consultent, mais se regardent en chiens de faïence… Ainsi en a décidé le Président, qui cultive l’art d’avoir deux fers au feu. Quand un coup d’Etat se produit, Paris condamne fermement, puis envoie discrètement Robert Bourgi pour garder le contact et ne pas insulter l’avenir. Schématiquement, la «cellule Afrique» gère les gros dossiers : le Darfour, l’Afrique des Grands lacs, la Somalie. Bourgi, de son côté, joue les missi dominici et maintient le fil avec les dirigeants «amis». Normal pour celui qui donne du «tonton» au président du Sénégal, Abdoulaye Wade, et appelait «papa» feu Omar Bongo.

Bourgi savoure sa revanche. Longtemps proche de Jacques Chirac, dont il fut le conseiller dans les années 80, puis de Dominique de Villepin, il est passé avec armes et contacts dans le camp de Sarkozy en septembre 2005, lorsque «DDV» lui a signifié que, trop sulfureux, ils devaient cesser de se voir en prévision de la présidentielle. Sarko, relate-t-il avec gourmandise, l’accueille alors à bras ouverts : «Ils t’ont fait la même chose qu’à moi, dit-il, faisant allusion à l’affaire Clearstream, mais je les niquerai !» C’est chose faite en mai 2007. Le jour de son intronisation, Bourgi est à l’Elysée, dans le carré réservé à la famille. Quelques mois plus tard, c’est la consécration : il est fait chevalier de la Légion d’honneur par le chef de l’Etat, qui le qualifie de «grand connaisseur de l’âme africaine».

Bockel est remplacé par Alain Joyandet au secrétariat à la Francophonie, grand ami et argentier de Sarkozy, qui va très vite sympathiser avec les dictateurs en place.

Alain Joyandet

Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la Francophonie du 18 mars 2008 au 4 juillet 2010

Or, Claude Guéant, éminence grise de Sarkozy qui donnait des interviews à la presse pour annoncer la politique menée par le président ou la liste du nouveau gouvernement comme en novembre 2010 se voit affecter au ministère de l’intérieur. Le nouveau ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, a exigé de ne pas l’avoir dans les pattes pour avoir la main sur la politique étrangère de la France. Or, c’était Claude Guéant qui entretenait les réseaux parallèles comme celui de Robert Bourgi et le clan chiraquien, dont est issu Juppé, n’appréciait pas Bourgi qui avait été écarté par Dominique de Villepin. Comme le souligne le journal du Dimanche, le retour de Juppé marque un retour en force du quai d’Orsay face à l’Elysée. Alain Juppé a déjà été ministre des affaires étrangères de 1993 à 1995, laissant un bilan jugé plutôt positif aussi bien à gauche qu’à droite. Même l’association survie, très critique vis à vis de la Françafrique, reconnaissait dans un article publié en 1996 des velléités de réformisme chez Juppé. Bien sur, on peut critiquer sa gestion de l’affaire du Rwanda, l’opération turquoise pour mettre fin au génocide a été tardive, néanmoins il est avec Mitterrand celui qui avait à l’époque défendu avec le plus d’ardeur le principe d’une intervention militaire.

Au passage, si l’on fait un parallèle avec ce qui se passe aujourd’hui en Libye, Juppé s’est montré très tôt critique vis à vis de Kadhafi, souhaitant sa destitution.  Cependant  les mauvaises habitudes ont la vie dure, puisque comme de nombreux hommes politiques français, Juppé est membre du comité de parrainages politiques de l’ipemed, le think tank d’Aziz Miled comme Elizabeth Guigou (qui a démissionné) ou Hubert Védrine (ancien ministre des affaires étrangères de 1997 à 2002).

Alain Juppé, nouveau ministre des affaires étrangères

On ne peut qu’espérer qu’Alain Juppé saura remettre de l’ordre dans la politique étrangère française. Les révolutions du monde arabe ont montré que la realpolitik et les réseaux parallèles qui ont amené le chef d’Etat français à dérouler le tapis rouge devant Kadhafi pour des « promesses de contrats » même pas réalisés ne paient pas. Les intérêts des fabricants d’armes ne sont ni ceux du peuple français ni ceux des peuples opprimés par les dictatures, mais de quelques hommes politiques cupides qui en profitent pour s’enrichir et passer des vacances dorées.

Les dirigeants français clament à tout va que la France est le pays des Droits de l’Homme, qu’attendent-ils pour le montrer dans leurs actes ?

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